Le process, anglicisme qui a inondé le monde du travail et qui, selon le contexte, signifie « procédé », « procédure » ou « processus ».

Le process en entreprise peut être défini comme une série d’activités ou d’étapes interconnectées qui sont réalisées pour atteindre un objectif spécifique. Il s’agit d’une séquence structurée d’actions qui transforme des inputs (ressources, informations, matières premières) en outputs (produits, services, résultats). Les processus peuvent être formalisés et documentés, souvent sous forme de diagrammes ou de schémas, pour assurer une compréhension et une exécution cohérentes au sein de l’organisation.

Cette définition du process est aussi insipide et vide de sens que peut l’être le process lui-même.

Le process se cache également insidieusement sous le nom de mode opératoire (MOP) ou pire sous celui de pas-à-pas (PAP). Cette dernière dénomination, profondément infantilisante de par sa référence à l’apprentissage de la marche par le bébé, est l’illustration parfaite des effets pervers du process.

Le process : une nécessité ou une facilité ?

Les organisations justifient la mise en place de process par l’homogénéisation des pratiques, une meilleure efficacité ou l’assurance d’obtenir des produits ou des services de qualité.

Certains managers ou dirigeants arguent même le fait que certains salariés ont besoin de process sur lesquels s’appuyer pour exécuter leurs tâches.

Alors, puisque quelques salariés sont incapables de travailler en toute autonomie, on crée et on impose des process à tous qui entravent l’autonomie des salariés performants et dévalorisent encore plus ceux qui soi-disant en ont besoin : c’est le choix facile et pernicieux du nivellement par le bas.

Il est plus facile de rédiger un MOP, parfois abscons ou incomplet, que d’accompagner les salariés en difficulté dans une démarche d’autonomisation. Dans le premier cas, on opte pour une solution expéditive qui prône souvent une méthode au détriment de toutes les autres. Dans le second, on fait confiance à l’individu et on lui laisse la liberté de choisir les moyens pour parvenir au résultat souhaité.

Valoriser l’autonomie et la confiance

L’Homme, comme tout animal, est fait pour être autonome.

Dans la nature, tous les animaux élèvent leurs petits dans le seul but qu’à l’âge adulte ils disposent des aptitudes suffisantes pour être autonomes et prendre leurs propres décisions. Une fois tous les enseignements prodigués pendant l’enfance et l’adolescence, ils font confiance à leurs petits, devenus grands, et les laissent prendre leur envol, conquérir leur propre territoire et vivre leurs propres expériences.

En cas de besoin, les animaux s’adaptent, innovent, développent leur intelligence et leur créativité pour trouver la solution la plus adaptée à la situation complexe à laquelle ils sont confrontés.

Ce comportement crée des individus capables de surmonter une modification de leur environnement, l’émergence de nouveaux prédateurs ou de virus, qui seront les plus à même de se reproduire et de transmettre leurs capacités. Ainsi, au fil du temps, c’est la population entière qui s’adapte. Là est la beauté de la Nature.

Imaginons un instant ce qu’aurait été l’évolution des espèces si elles avaient toutes suivi un même MOP rédigé par une poignée d’individus qui pensaient détenir la vérité… pauvre Darwin !

Tout cela pour dire que la vision de l’entreprise paternaliste qui estime que la performance passe par l’encadrement, le contrôle et la standardisation des pratiques est obsolète.

Les process réduisent considérablement l’autonomie des salariés en les invitant, voire en les contraignant, à ne plus réfléchir et se contenter d’appliquer bêtement un ensemble de règles internes au seul motif que « c’est écrit ».

De l’incohérence à l’injonction contradictoire

Il est intéressant de constater que ce sont souvent les organisations qui ont mis en place un nombre incommensurable de process qui, dans leurs offres d’emploi, écrivent : « le/la futur(e) collaborateur(trice) devra faire preuve d’initiative, être force de proposition, être capable d’innover et savoir cultiver sa créativité ».

Comment faire ou être tout cela quand chaque action doit respecter un process qui, intrinsèquement, ne laisse aucune place à la créativité ou à l’innovation qui, elles, ont besoin d’un espace de liberté relativement important pour s’exprimer pleinement ?

Il est certain qu’une offre d’emploi dans laquelle le recruteur écrirait qu’il « recherche une personne dépourvue de tout sens critique avec une propension naturelle à l’obéissance aveugle en vue d’appliquer et faire appliquer les process définis arbitrairement par l’entreprise » convaincrait peu de candidats…

Alors la question se pose de savoir pour quelle raison les organisations évoquent rarement leurs process au moment du recrutement.

Omission fâcheuse ou tartuferie ?

En toute évidence, les employeurs se rendent bien compte que, pour attirer les jeunes talents qui aspirent à travailler en toute autonomie dans un environnement stimulant, il faut entretenir l’illusion avec des artifices tout en espérant que la nouvelle recrue s’accommode des process.

Parfois, le pullulement des process est tel qu’il conduit à l’absurdité : pour appliquer un process il est nécessaire d’en transgresser un ou plusieurs autres. Dès lors, c’est la débandade, la maîtrise des process échappe à ceux qui en sont à l’initiative ; et ceux qui doivent les appliquer sont forcés de désobéir pour obéir. Et si le système ne s’effondre pas, c’est souvent parce que les salariés, sans systématiquement se rebeller ou même s’en rendre compte, font preuve de bon sens et s’affranchissent de ces process.

Malgré cela, les MOP, les PAP et les process en tout genre continuent de proliférer telle une nouvelle espèce invasive qui peu à peu éteint les talents, étouffe la créativité et tue l’intelligence.